EST REPUBLICAIN du mercredi 22 janvier 2014
Automobile Et si l'ouverture du capital de PSA au Chinois Dongfeng s'inscrivait dans l'histoire de l'entreprise?
« Les Peugeot ont toujours préféré l'entreprise à l'argent»
Professeur d'université à Évry, spécialiste de l'histoire des entreprises automobiles en France, Jean-Louis Loubet replace les dernières annonces relatives à la recapitalisation de PSA Peugeot Citroën dans la très longue histoire de Peugeot (200 ans).
Est Républicain: Avec la probable entrée du Chinois Dongfeng dans le capital de PSA, peut-on dire que la raison l'a emporté ?
Jean-Louis Loubet: Restons prudents, rien n'est encore officiel. Mais si ce scénario se concrétise, cela démontrera une fois de plus que les Peugeot préfèrent leur affaire à leurs intérêts, l'entreprise et les salariés à l'argent: c'est leur éthique protestante. D'un point de vue de la pérennité de PSA, c'est très important. Certes, la famille Peugeot va avoir moins de poids dans le capital et son pouvoir va être dilué, mais l'entreprise va continuer à exister. Dans la période actuelle qui est difficile, compliquée, c'est, à mon sens, une belle preuve de responsabilité sociale.
Les Chinois, est-ce un bon choix ?
Que ce soit des Chinois, des Hollandais, des Italiens ou des Américains, il fallait de l'argent frais. Cela étant, la Chine est le premier marché automobile au monde. Un accord avec les Chinois me semble être, stratégiquement parlant et compte tenu du moment, une idée qui tient la route. Avec Dong¬feng, PSA a déjà trois usines à Wuhan - bientôt quatre - et a réalisé de très bons résultats commerciaux en Chi¬ne en 2013. Si cette ouverture du capital avait eu lieu il y a vingt ans, on aurait pu s'interroger.
Au cours de son histoire, la famille Peugeot a-t-elle déjà perdu le contrôle de son entreprise ?
Oui. Pendant la crise économique des années trente et l'affaire Oustric. A cette époque, toutes les banques françaises ont refusé d'aider la famille Peugeot. Elle s'est alors tournée vers Albert Oustric, un banquier qui a financé la construction du grand Sochaux et qui, lui, semblait honnête; il ne l'était pas (1). Elle a alors perdu le contrôle de son entreprise qu'elle a ensuite récupérée grâce à la solidarité familiale et au rachat progressif d'actions. Le pourcentage de capital détenu par la famille Peugeot n'a donc pas cessé de varier au fil du temps. Ce qui se passe actuellement n'est pas une première.
Il y a eu aussi une scission de la marque à la fin du XIXe siècle ...
En effet, la brouille entre deux frères Peugeot a débouché sur la création de deux marques: Automobiles Peugeot et Lion Peugeot. Leur concurrence était intenable et la sagesse a fini par l'emporter: les deux entités ont refusionné grâce à l'intercession d'un neveu, Ro¬bert Peugeot, premier du nom, qui a rabiboché son père avec Armand Peugeot.
C'est d'ailleurs un phénomène récurrent chez les Peugeot: ils finissent toujours par s'entendre. L'Histoire est faite de hauts et de bas. Celle de Peugeot a 200 ans. Sur une période aussi longue, il est normal qu'il y ait des tensions, des fâcheries, des moments fastes et néfastes, une succession de stratégies industrielles. Et plus une famille s'élargit, plus c'est compliqué. Aujourd'hui, deux générations se côtoient au sein de la famille Peugeot, avec des idées, des envies, des points de vue différents. Ce n'est pas une configuration simple.
L'État français devrait lui aussi entrer dans le capital de PSA. N'est-ce pas paradoxal à l'heure où la maîtrise des dépenses publiques est quasiment une cause nationale ?
Je présume que Pierre Moscovici, ministre de l'Économie et élu du Pays de Montbéliard, a joué un rôle important. Si l'idée de l'Etat est d'assurer la pérennité de PSA, son entrée dans le capital est une bonne chose. L'Etat sait-il gérer des entreprises? Par expérience, et pour avoir étudié Renault, ma réponse est non. Mais je vais renverser votre question. Aurait-on pu imaginer une seconde qu'aux Etats-Unis l'État interviendrait pour sauver General Motors (N.D.L.R. : avec un prêt d'urgence de 17 milliards de dollars accordé en décembre 2008) ? Non; c'était impossible! Cela s'est pourtant produit! Mais l'État américain n'a joué aucun rôle dans la stratégie industrielle de GM. Il a apporté de l'argent frais et l'a récupéré une fois que GM s'est redressé. Si le deal de l'État français avec PSA est le même, c’est excellent. C'est ce qu'il a fait en 2005 avec Alstom pour empêcher son dépôt de bilan.
]Une gouvernance à trois têtes, est-ce viable ?
Regardez le fonctionnement de Renault. C'est aussi très compliqué. Vous avez un PDG qui est aussi celui de Nissan. Ajoutez à cela un État actionnaire à hauteur de 15 %. Chez PSA, qui va assurer le leadership? Il faut espérer que ce soit la famille Peugeot. Tout cela dépendra de la structure capitalistique (N.D.L.R.: qui devrait être officiellement dévoilée le 19 février lors de la présentation des résultats financiers du groupe). D'ici là, beaucoup de choses peuvent encore évoluer.
Propos recueillis par Alexandre BOLLBNGIER
(1) La faillite frauduleuse de sa banque avait entraîné la chute de plusieurs hommes politiques en vue de l'époque.