<span style='color:blue'>FIGARO MAGAZINE DU 05/03/2005</span>
Un texte un peu long mais je ne peux résister à l'envie de vous le faire partager :
<span style='color:red'>Peugeot 907 : du bonheur plein les yeux.</span>
Elle roule. La Peugeot 907, prototype unique de GT à moteur 12 cylindres, est descendue de son piédestal du Mondial de l'automobile pour se livrer entière sur le circuit Paul-Ricard et sur les petites routes de l'arrière-pays provençal, dans le massif de la Sainte-Baume. "Le Fig Mag" était là pour partager ce moment inoubliable et goûter les sensations que procure la conduite de cette GT enchantée.
par Sylvain Reisser
[05 mars 2005]
Dans un concert de décibels, le V12 6 litres de la Peugeot 907 démontre une parfaite éducation.
Fin février, 8 heures du matin, portail du circuit Paul-Ricard. Le soleil commence à darder ses rayons. La journée s'annonce exceptionnelle à plus d'un titre. D'un camion banalisé descend la Peugeot 907 et, dans la seconde, le paysage s'en trouve transfiguré. Elle est là, rutilante dans sa robe noire pailletée, plus vraie encore sous la lumière du jour que sous les sunlights du Mondial de l'automobile où elle tint la vedette du stand Peugeot. Cette voiture que chacun veut posséder et que personne ne peut acquérir. Sacrée frustration ! Car, ne nous méprenons pas, si la 907, dévoilée dans notre numéro du 2 octobre 2004, descend aujourd'hui dans la rue, elle n'est pas plus une voiture de course qu'une GT produite en série très limitée. Seulement un exercice de style... roulant.
Même les pilotes Maserati qui officient ce jour-là sur le circuit au volant de la nouvelle MC12, l'épouvantail du championnat GT FIA, s'attardent un moment autour du monstre. La scène n'est pas pour déplaire à Jean-Christophe Bolle-Reddat, le responsable de l'architecture des concept-cars Peugeot, qui verrait bien un escadron de 907 tenir en respect le peloton d'une discipline composé des Aston Martin DB9, Maserati MC12 et Ferrari 575 M GTC. «Il suffit de construire vingt-cinq exemplaires de route pour satisfaire à l'homologation», poursuit, un brin interrogatif, Jean-Christophe Bolle-Reddat. Soit bien moins que le nombre de passionnés prêts à signer un chèque en blanc pour l'acquérir. Il suffirait donc d'un petit coup de pouce du destin pour faire pencher la balance dans le bon sens...
Pour l'heure, le complice de Gérard Welter savoure ces moments d'une rare intensité à leur juste valeur. Il y a un an encore, la 907 n'alimentait que leurs songes de grands enfants vivant leur passion de l'automobile à plein régime. Puis le rêve est devenu réalité, comme dans le plus beau des scénarios. «Avec l'équipe du design, nous voulions marquer le déménagement de La Garenne-Colombes à l'ADN de Vélizy. Le consensus s'est formé autour du moteur V12, l'architecture la plus noble. Pour concrétiser ce projet, la carrosserie Grand Tourisme à moteur central avant s'est imposée d'elle-même», assure l'homme des concepts.
Esquissée par Gérard Welter en personne, responsable du design Peugeot la semaine et artisan des sports prototypes WR participant aux épreuves d'endurance le week-end, la silhouette en carbone de la 907 prend une autre dimension sous le soleil méditerranéen. Ce monstre reposant sur un empattement de 2,50 m, identique à celui d'une Ferrari 575 M, redéfinit les canons classiques du genre. Son profil trapu, 20 cm plus court que l'italienne, déploie un capot avant démesuré rejetant l'habitacle sur les roues arrière motrices. Les énormes roues de 275/40 ZR18 à l'avant et 345/35 ZR18 parachèvent ce chef-d'oeuvre aux accents italiens. Des GT moteur avant de Maranello, la Peugeot emprunte la position longitudinale centrale avant du V12 et de la boîte-pont à l'arrière selon le principe transaxle, gage d'un équilibre des masses idéal.
La mélodie du V12 donne la chair de poule
Entièrement reconstruite après le Mondial, la 907 peut désormais se plier de bonne grâce à une utilisation routière. Né de l'accouplement de deux V6 essence 3 litres de la Peugeot 607, le V12 6 litres, pièce maîtresse de la voiture délivrant la bagatelle de 490 ch, bénéficie d'un nouveau carter et d'une cartographie remaniée pour affronter les aléas de la circulation. Nous aurons l'occasion de vérifier tout à l'heure le bien-fondé des modifications opérées dans les traversées de villages, comme la souplesse du bloc produisant un couple de 550 Nm. Transformé en professeur, Jean-Christophe Bolle-Reddat m'invite à le rejoindre à bord. L'accès s'effectue sans aucune difficulté et l'on est tout de suite à l'aise dans le siège baquet drapé de cuir et d'alcantara. Reste le plus émouvant, réveiller le V12 en tournant la clef et en appuyant le bouton-poussoir situé sur l'imposante console centrale scindant l'habitacle en deux. Dans un «clong» caractéristique des boîtes de course à crabot, notre guide enclenche le premier rapport. C'est parti, direction Gémenos par la N8 avant d'attaquer les premières pentes du massif de la Sainte-Baume. Ici, la sonorité du V12 augmente et se propage en écho contre la roche. Un plaisir que je vais pouvoir savourer au volant après avoir suivi les recommandations d'usage.
Devant moi, sous la casquette du tableau de bord, l'essentiel se résume à un compte-tours avec rappel de la vitesse engagée et un compteur kilométrique. Au centre, l'écran d'information tactile. A droite, sur la console centrale similaire à la Porsche Carrera GT et ne semblant être que le prolongement de la vitre abritant les trompettes d'admission, le levier tombe idéalement sous la main. La boîte se commande en poussant en avant pour rétrograder et en tirant vers soi pour monter les rapports. Digne d'une voiture de course, l'embrayage à la course courte et ferme nécessite une certaine accoutumance. La 907 décolle finalement sans caler. Soyons clair, la 907 ne se livre pas au premier venu : le frein moteur est à bannir, au risque de bloquer les roues arrière et de partir en tête-à-queue, et il faut parfois s'y reprendre à deux fois pour changer de vitesse. Heureusement, les disques en carbone-céramique pincés par des étriers à six pistons veillent au grain. Le plus déroutant dans cet écrin provient pourtant du pare-brise et du toit formant une seule et même pièce. Produisant une luminosité inouïe, cette bulle en verre donne du rythme à la balade et permet de profiter de la clarté du ciel, un privilège réservé au cabriolet il y a encore peu de temps. L'assurance aidant, on hausse le ton et flirtons avec les 6 800 tr/min autorisés. Le V12 dévoile une énergie et une allonge détonantes. A cadence enlevée, la 907 est dans son élément, autorisant le passage des vitesses à la volée, sans débrayer, et obéissant avec précision aux injonctions du conducteur. Si la comparaison paraît difficile avec une GT équivalente, il y a quelque chose de grisant à traverser la campagne au volant d'une GT de Salon. Dans le village de Signes, à voir la mine éberluée des témoins, on mesure combien l'exercice paraît irréel. Encore quelques virages à bride abattue et nous voici de retour au circuit pour quelques tours de manège enchanté. Le rêve qui prend fin ne se vit que dans l'inaccessible.
B)